Pendant ce temps-là, au dispensaire

Publié le par mada.mitsabo

illu94Je m’aperçois que finalement, je ne vous ai que très peu parlé de mon travail au dispensaire ! Il occupe pourtant bien mes journées, y étant quasiment 6 jours sur 7. Mais le rythme y est plutôt tranquille, et la charge de travail aussi. Nous sommes bien loin d’un service de médecine de l’hôpital cantonal de Genève, que je ne citerai pas (par respect pour les autres services), mais à qui je pense très souvent ! Faut dire que la période est particulièrement calme, cela serait expliqué par la saison des pluies : les habitants sont plus occupés à travailler dans les rizières, ils arrivent à la fin de leurs provisions et vivent donc sur leurs réserves d’argent. Et puis il y a la pluie, qui n’a cessé de tomber en continu ces derniers jours, qui transforme les rivières en torrents, et qui coupe complètement l’accès à certains villages. Cela entraine donc de longs après-midi passés sur le banc du dispensaire, à regarder défiler les poules, canards, zébus et autres volatils en tout genre (cherchez l’erreur dans cette dernière phrase). Toujours est-il, nous arrivons à voir en moyenne une dizaine de patients quotidiennement, mais ce chiffre peut vraiment fluctuer selon le jour et la météo. Les cas et pathologies rencontrés sont évidemment très variés. Il y a tout d’abord la partie gynéco-obstétrique-planning familial, dont s’occupe Pascaline. Pascaline fait office de sage-femme, mais est en fait aide soignante. C’est pourtant elle qui gère toute cette partie toute seule. Son plus gros travail consiste au suivi mensuel des femmes enceintes. C’est aussi elle qui s’occupe des consultations du planning familial, le dispensaire proposant aux femmes des traitements contraceptifs par pilule ou par injection mensuelle. Concernant le préservatif, sujet que j’ai évidemment abordé malgré les rires gênés de mes collègues, il y a eu des tentatives de sensibilisation, mais les populations restent très méfiantes et pudiques vis-à-vis de ce moyen de contraception. Rappelons qu’il y a encore 15 ans cette vallée était totalement isolée du pays, aucune voiture ne pouvait y accéder, aucun touriste ne pouvait visiter la région. Certaines évolutions doivent être progressives, mais le challenge est de taille ! A côté de ça, Pascaline est disponible 24h/24h pour d’éventuels accouchements qui se passent dans la salle d’accouchement du dispensaire. À l'heure qu'il est, je n’ai malheureusement pas pu assister à l’intégralité d’un accouchement. Pas de bol pour moi, ils ont tous eu lieu les nuits ou les week-ends… Mais à l’heure où j’écris ce texte, il me reste encore une bonne semaine à passer au dispensaire, je ne désespère donc pas d’assister à la naissance d’un petit habitant du Tsaranoro. Il y a environ 4 à 5 naissances par mois au dispensaire, j’ai donc encore mes chances ! Le suivi nutritionnel des nourrissons est aussi assuré par Pascaline. Dans l’autre partie du dispensaire se passent les consultations médicales, ça, c’est le travail d’Irène. Le dispensaire du Tsaranoro est un CSB1 (Centre de Santé de Base 1), c'est à dire sans présence de médecin, sinon il s’agirait d’un CSB2. C’est donc ici que les patients viennent pour leurs maux quotidiens. Les pathologies y sont multiples, variées, parfois complexes. Du mal de gorge au nez qui coule, de la fièvre qui dure, aux diarrhées, vomissements, des abcès prêts à exploser, aux douleurs traumatiques dues à un zébu un peu trop énervé… on y voit de tout, de toutes les couleurs, de toutes les odeurs, mais aussi de toutes les gravités. Beaucoup de bobologie, de maladies tropicales comme le paludisme, des cas de dermatologie… Et quelques urgences de temps à autre : une veille femme qui arrive sur un brancard de fortune, dyspnéique, tachycarde et passablement déshydratée. Un enfant blessé à la joue par un zébu, qu’il a fallu recoudre, et avec une forte suspicion de traumatisme du coude gauche… Et c’est dans des situations comme ça qu’on prend vite connaissance de ses limites. Tout d’abord, les anamnèses sont très difficiles, les patients ont du mal à être clair sur leur mal, ce qu’ils ressentent et surtout depuis combien de temps ils ont ça. Déjà qu’Irène doit faire la traduction, et qu’elle n’est pas forcément très curieuse, il arrive très souvent de traiter à « l’aveugle ». Dans le cas de cette mamie déshydratée, une nuit de repos au dispensaire, et une réhydratation en intra-veineux ainsi que des antiémétiques, auront suffit pour qu’elle reparte sur ses deux jambes, dans son village qui se trouve à 3 h de marche. Ressuscitée… je suis certain que même moi, j’aurais eu du mal à la suivre. J’ai même eu droit à un sac de riz pour me remercier. Cependant, la nouvelle a fait le tour des villages, « docteur Vazaha » comme on m’appelle ici, a guéri la vieille dame. Bon j’admets que ça fait plaisir d’avoir ce genre de retour, même si au fond, j’avoue n’avoir absolument eu aucune idée de l’origine de ses symptômes. J’expliquais aussi précédemment que les habitants ont énormément de mal à dire depuis combien de temps ils ont leurs problèmes. J’ai rencontré des situations identiques, chez des patients qui arrivent au dispensaire avec des abcès énormes, à la limite de la septicémie. Il s’avère qu’en fait, avant de venir consulter, ils vont voir des guérisseurs ou des sorcières, pour essayer toute sorte de cataplasmes et remèdes à base de plantes. Non loin de moi l’envie de douter de l’efficacité de la médecine traditionnelle et du réel lien social que cela implique dans ces civilisations, mais il est à priori difficile pour certains habitants de ne pas passer par cette étape. Cependant, à laisser trainer jusqu’au dernier moment des pathologies à la base bénigne, ils arrivent donc au dispensaire dans un état critique. Le cas de cette jeune patiente, qui a accouché il y a 3 mois, et qui arrive avec un abcès inflammatoire du sein gauche, hyper algique, avec deux plaies profondes et fibrineuses. Elle m’explique, selon les traductions d’Irène, que ça fait 15 jours qu’elle a ça. Pourtant ma question suivante (qui était une question piège, héhé, je suis parfois fourbe), a été de demander quand a-t-elle arrêté d’allaiter son bébé. Il y a deux mois. Lui faisant remarquer que ses dates ne concordaient pas, elle a fini par avouer que l’abcès a débuté il y a plus de deux mois (Sherlock Holmes, sors de mon corps !!). Mais de quoi ont-ils peur à cacher la vérité ? Que je les gronde ? Ou bien que je ne conçoive pas l’utilisation de la médecine traditionnelle ? Je me suis permis de leur passer le message, qu’il ne fallait pas attendre deux mois, et que c’était bien trop dangereux. La consultation est gratuite, alors il ne faut pas hésiter, même pour avoir un simple avis. Toujours est-il, après 4 jours d’antibiotiques perOs, et des pansements bétadinés aux deux jours, l’abcès a nettement diminué, la fibrine à quasiment disparue, et les deux plaies sont en voie de guérison. Nous continuerons encore les antibiotiques quelques jours. La dernière problématique que je rencontre régulièrement, ce sont les patients qui nécessiteraient une évacuation sanitaire pour des examens plus approfondis, mais qui refusent. L’hôpital le plus proche étant à 60 km, il est possible d’y faire quelques analyses de sang et de selles courantes. Pour une radio, ou des examens plus approfondis, ou une opération, il faut se rendre à Fianarantsoa, soit à plus de 200 km. Alors il faut très sérieusement étudier la question, peser le pour et le contre, et puis constamment argumenter. Les hospitalisations et analyses coûtent cher, les habitants étant souvent obligé de s’endetter, ou de vendre des bêtes. Et là encore, je me suis aperçu de la limite de mes possibilités en tant que soignant dans un dispensaire de brousse si iillu95solé. Le cas de l’enfant de 5 ans qui s’est accidenté avec un zébu, a donc eu une plaie importante au niveau de la joue qu’il a fallu recoudre, mais aussi un traumatisme au niveau du coude gauche. Très algique au touché malgré les antalgiques, œdématiés, et surtout une impotence flagrante du bras qui ne s’améliore pas au fur et à mesure des consultations (nous le voyons tous les deux jours pour le pansement). Malgré mes arguments sur une éventuelle fracture possible, et même en leur proposant de prendre en charge les frais de la radio et du transport avec une partie des dons récoltés pour le projet, les parents n’ont pas souhaité emmener l’enfant à l’hôpital. Ils l’emmèneront faire des massages chez un guérisseur… C’est un peu frustrant comme situation, mais il n’y a pas de jugement à émettre. C’est comme ça, il m’était difficile de faire plus. Mais c’est aussi ça la richesse d’une telle expérience, simplement prendre conscience de nos limites.

Et puis il y a les situations plus rigolotes, comme par exemple les fois où l’on fait un pansement, et qu’on se rend compte au bout de 5 minutes, que 4 personnes sont là, postées à la fenêtre en train de regarder et d’écouter, limite ils vont encore poser des questions. N’espérez donc même pas aborder la question du secret médical, ici tout le monde sait tout, et les informations se propagent à une vitesse inimaginable, mieux que Facebook ! Ne parlons pas non plus de la visite des poules pendant les consultations, ou des vendeurs de poissons ambulants, ou encore des familles entières qui débarquent pour accompagner un patient au point de ne plus pouvoir rentrer dans le bureau… bref, des moments que je ne vivrais qu’ici, et que j’essaie d’apprécier comme il se doit, en prenant quand même un certain recul avec mes habitudes occidentales.

Publié dans Les news du projet

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